Initialement prévue dès le 1er janvier 2021, l’entrée en vigueur du paquet TVA sur le commerce électronique est reporté au 1er juillet 2021.  Ce report de six mois, proposé par la Commission européenne en mai 2020 en raison du contexte économique lié à la Covid-191 , puis validé par le Conseil de l'UE, vient d'être entériné par la loi de finances pour 2021.2

 

Paquet TVA : les principales mesures concernant la vente en ligne

Au sein de ce paquet TVA européen3, deux mesures clés concernent le secteur e-commerce et la vente en ligne de biens en « B to C », intracommunautaires et importés, par des assujettis établis dans l’UE ou dans un Etat tiers :

  • Extension du champ d’application du mini guichet unique aux prestations électroniques et aux ventes à distance

Depuis 2015, un système simplifié pour déclarer et payer la TVA a été mis en place pour les services de télécommunication, de radiodiffusion et de télévision ou des services électroniques.4 Ce guichet unique sera étendu à plusieurs prestations électroniques. Il permettra à un e-commerçant qui désire vendre dans plusieurs marchés européens de centraliser son immatriculation fiscale. Le report de ce dispositif au 1er juillet 2021 pourrait impacter les stratégies de certains acteurs e-commerce au premier trimestre 2021, qui seraient contraints de s’immatriculer dans chaque Etat membre.

  • Collecte de la TVA par les « interfaces électroniques » / marketplaces 

Les plateformes qui mettent en relation des acheteurs (consommateur final) et des vendeurs sur Internet devront collecter la TVA pour le compte des fournisseurs vendeurs en ligne. Cette mesure serait reportée de six mois à la demande des marketplaces, qui doivent effectuer une mise à jour complexe des systèmes d’information et des procédures internes.

Cette nouvelle mesure implique une évolution du rôle des marketplaces en matière de fiscalité indirecte et des relations entre les plateformes de vente en ligne et leurs fournisseurs.

 

Les marketplaces, futur bras droit de l’administration fiscale

Avec pour objectif de lutter contre la fraude, les marketplaces vont devoir directement collecter et régler la TVA pour le compte des vendeurs selon le chiffre d’affaire réalisé. Cette mesure concerne toutes les places de marchés et les plateformes qui « seront, dans certaines situations, considérées, aux fins de la TVA, être le fournisseur de biens vendus aux clients dans l’UE par des entreprises qui utilisent le marché ou la plateforme »5. Des grandes entreprises internationales telles qu’Amazon ou Alibaba, voire dans certains cas des plateformes de vente entre particuliers comme Etsy ou Le Bon Coin devront appliquer ces nouvelles obligations. Les entreprises qui commercialisent leurs produits et services via leur site web, en complément de leur réseau de distribution, telles que des enseignes alimentaires ou de bricolage sont également concernées.

En pratique, les marketplaces vont mettre en place un contrôle a priori en amont du paiement de la TVA. Elles vont devoir interpeller leurs entreprises clientes pour vérifier qu’elles sont bien immatriculées en France. Cela implique de faire évoluer la gestion comptable de ces entreprises et d’adapter les systèmes d’information aux nouvelles règles fiscales.

Le rôle d’intermédiaire des marketplaces va ainsi évoluer vers un rôle de régulateur avec de nouvelles obligations fiscales. En se substituant à l’administration fiscale, elles vont devenir un organisme de vérification et un collecteur de la TVA. Toutefois, leur rôle de bras droit de l’administration implique de sensibiliser un écosystème hétérogène.

 

L’apprentissage fiscal des fournisseurs, nouveau métier des marketplaces  

Entreprises étrangères ou jeunes entrepreneurs… De nombreux acteurs ne sont pas sensibilisés aux règles européennes et françaises en matière de TVA.

Les marketplaces vont être contraintes de les informer sur les règles fiscales françaises et européennes :

  • La TVA et la notion d’assujetti
  • Les contribuables redevables : les seuils retenus, exonération avec la franchise en base de TVA selon le chiffre d’affaires réalisés au cours de l’année civile précédente 
  • Valeur des petits envois : suppression de l’exonération du seuil de 22 euros en 2021, mesure complémentaire issue du paquet TVA e-commerce
  • UE - Règles de territorialité de la TVA et régime des ventes à distances

Pour déterminer le montant de la TVA, le collecter et le reverser à l’administration, les marketplaces vont devoir déterminer pour chaque vendeur s’il est redevable à la TVA ou non, en collaboration étroite avec la direction financière et l’expert-comptable de l’entreprise. Elles devront mettre à jour régulièrement un fichier détaillé de la typologie des résultats financiers des vendeurs. Selon leur taille, certaines ont déjà anticipé la mise en place de ces nouvelles règles mais pour d’autres il s’agit d’un mécanisme lourd et contraignant à mettre en place.

Cette solidarité du paiement de la TVA implique de nombreux risques pour les plateformes : risque de ne pas être remboursé, risque de perdre des clients. Un tri dans les fournisseurs référencés sera nécessaire. Les plateformes pourraient également perdre des clients en raison de la pression commerciale. En cas d’incohérences soulevées, vont-elles être devoir transmettre ces informations à l’administration fiscale ? Ce rôle de délateur pourrait affaiblir la confiance des vendeurs vis-à-vis des plateformes. La Commission européenne prévoit en 2021 de collaborer avec les sites de marché afin de définir clairement leur rôle au sein de nouveau dispositif.

Si les marketplaces ne coopèrent pas avec l’administration fiscale, elles risquent de figurer sur une liste noire.6  Il faut noter que depuis 2019, elles sont soumises à une obligation d’information auprès des vendeurs et de l’administration fiscale et peuvent être sanctionnées par des amendes ou la mise en recouvrement de la TVA7. Par ailleurs, depuis le 1er janvier 2020, elles peuvent d’ores et déjà être solidairement tenues du paiement de la TVA en cas de défaillance dans la collecte d’un opérateur. Alors que la TVA demeure une source de revenu importante pour l’Etat, notamment en cette période post covid-19, il est fort probable que l’administration applique ces dispositions de façon stricte et n’hésite pas à sanctionner les opérateurs non compliants.

 

Lutter contre la fraude, avec pour cible principale les opérateurs non-européens

Ce nouveau dispositif vise à lutter contre la fraude à la TVA en sécurisant en amont la collecte de la TVA pour l’administration fiscale. Grâce à ce mécanisme, la Commission européenne prévoit « 7 milliards d’euros de TVA supplémentaires par an »8. Ainsi, il apportera de nouvelles recettes fiscales à l’administration fiscale française. En France, en 2019, 98 % des vendeurs enregistrés sur les places de marché des sites d'e-commerce (Amazon, Cdiscount) n’étaient pas immatriculés à la TVA en France en 2019 selon un rapport de l’inspection des finances.9

L’objectif sous-jacent de l’Union européenne est de mieux contrôler les « vendeurs de pays tiers », fournisseurs non européens, en particulier les opérateurs chinois, Selon une étude de la Commission européenne en 2017, 65 % des envois en provenance de pays tiers ne respectaient pas les règles de l’UE en matière de TVA.10 En effet, via divers mécanismes frauduleux ou « pratiques abusives », de nombreuses entreprises ne payent pas la TVA aux Etats membres. Cette nouvelle règle permet de garantir une concurrence loyale entre les entreprises au sein de l’UE. Elle implique également une diminution de la vente de produits asiatiques à bas coûts, qui répercuteront probablement les coûts fiscaux sur le consommateur final. 

Pour la première fois, les plateformes de vente en ligne devront « assumer la responsabilité de la perception de la TVA ».11 En déléguant une partie de leur mission, les autorités fiscales se reposent sur les plateformes en qualité d’intermédiaires de vérification des obligations fiscales des vendeurs en ligne. Cette évolution des prérogatives et des risques pour les plateformes de vente en ligne induit un nouveau métier : l’éducation fiscale des opérateurs. En 2021, les marketplaces deviendront le bras droit de l’administration fiscale pour surveiller les obligations fiscales des vendeurs e-commerce. Elles prendront ainsi une part active dans la lutte contre la fraude à la TVA et la protection du marché unique vis-à-vis des opérateurs chinois.

1 European Commission, Taxation : Commission proposes postponement of taxation rules due to coronavirus crisis, 8/05/2020

2 A noter : La directive incluant ces nouvelles règles européennes en matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) avait déjà été transposée dans l’ordre interne en décembre dernier par la loi 2019-1479 du 28 décembre 2019.

3 Le paquet TVA inclut la directive (UE) 2017/2455 du Conseil, le règlement (UE) 2017/2454 du Conseil et le règlement d'exécution (UE) 2017/2459 du Conseil, ainsi que les mesures d’application suivantes : la directive (UE) 2019/1995 du Conseil et le règlement d’exécution (UE) 2019/2026 du Conseil

4 Commission européenne, Moderniser la TVA sur le commerce électronique transfrontalier

5 Commission européenne, Moderniser la TVA sur le commerce électronique transfrontalier

6 Article 149 de la loi de finance

7 Article 82 AA du LPF

8 Commission européenne, Moderniser la TVA sur le commerce électronique transfrontalier

9 Les Echos, Une fraude massive à la TVA mise au jour dans l'e-commerce, 9/12/2019

10 Commission européenne, Modernisation de la TVA dans le cadre du commerce électronique : questions et réponses

11 Commission européenne, Écart de TVA : questions et réponses