La mode figure parmi les secteurs économiques qui ont le plus profité de la mondialisation, en faisant produire ses vêtements dans les pays à bas coût pour les revendre sur les lieux de consommation, là où les prix et les devises sont forts. En témoignent les données d’importation d’habillement en provenance des pays extra-Union Européenne de 2019 qui totalisent 80 milliards Euros (Source Euratex). Grâce à cette politique bien rodée, le secteur a pu bénéficier de marges confortables qui ont permis de financer le développement de réseaux de magasins étendus, d’entrepôts logistiques mécanisés et de systèmes d’information puissants, rendus encore plus nécessaires par la digitalisation.

 

Une industrie secouée depuis deux ans

Cependant, début 2020, les entreprises de mode ont dû faire face à plusieurs facteurs qui ont pesé sur leurs coûts de production, marquant un coup d’arrêt à ce modèle de grand import : la crise de la Covid-19 qui a profondément déstabilisé les chaînes logistiques d’acheminement - black-out en Chine, fermeture du port de Yantian, etc. -, entraînant la hausse vertigineuse du prix des containers (1.300$ le container en juin 2019, 7.000$ en juin 2022) ; la hausse des matières premières (le cours du coton a été multiplié par deux entre août 2019 et août 2022) couplée à celle du dollar a aussi fortement déstabilisé les marchés ; enfin, la guerre en Ukraine et la fermeture de facto des solutions ferroviaires Chine-Europe qui entravent grandement les affaires du secteur du textile.

Les entreprises européennes de la mode ont cependant su rebondir et retrouver leurs profits d’avant Covid en 2021 ; paradoxalement grâce à des stocks insuffisants, ce qui a favorisé la réduction des prix démarqués ou soldés, et généré des marges plus élevées pour le commerçant. Elles ont également rationalisé leurs parcs de magasins et ont continué d’investir sur le commerce digital. Enfin, la plupart des acteurs ont commencé la diversification de ses approvisionnements, au détriment de la Chine, et au bénéfice de leur politique verte.

 

Une nouvelle contrainte issue du Green Deal : la CSRD

Désormais, une autre menace s’annonce, qui risque de provoquer une réplique encore plus forte que les dérèglements géopolitiques ou sanitaires récents.

Ayant fait de la lutte contre le dérèglement climatique la pierre angulaire de son action et constatant que la consommation de textiles en Europe représente la quatrième principale source d’impact sur l’environnement, la Commission européenne a instauré un cadre réglementaire strict auquel l’industrie de la mode devra se soumettre. Avec la directive sur les rapports de durabilité des entreprises (CSRD), les grandes entreprises sont notamment sommées de procéder à un reporting extra-financier exigeant et inséré dans le rapport de gestion annuel comprenant des indicateurs durables standardisés. L’UE n’est pas la seule à vouloir améliorer la publication d’informations sur les risques liés à la durabilité par les entreprises mais elle impose une analyse d’une double matérialité, c’est-à-dire qui intègre les informations relatives aux impacts négatifs et positifs de l’entreprise sur l’Environnement. Le législateur européen est plus ambitieux que l’organisme international (ISSB), qui s’arrête à la matérialité simple. La CSRD, après avoir été transposée en droit national, entrera en vigueur en 2024.

 

La mode et le textile, cibles des prochains textes européens

L’ambition de légiférer touche particulièrement le secteur textile, comme en témoignent les récentes propositions législatives de la Commission européenne. Adoptée en mars 2022, la stratégie de l'UE pour des textiles durables et circulaires envisage de réguler l’entièreté du cycle de production des matières textiles. Elle fixe notamment des seuils minimums de fibres recyclées dans la composition des textiles, des mesures de protection des consommateurs quant aux informations qui leur sont communiquées, ainsi que des mesures pour lutter contre le rejet de microplastiques. Enfin, dans sa proposition de directive sur le devoir de vigilance, dont le champ d’application s’avère étendu et extraterritorial, la Commission souhaite aller plus loin que la loi française relative au devoir de vigilance dont elle s’inspire. La proposition de directive ambitionne en effet d’obliger les entreprises concernées à intégrer le devoir de vigilance à leurs politiques internes, de recenser et identifier les incidences réelles ou potentielles sur l’environnement et les droits de l’Homme à travers toute leur chaîne de valeur via notamment des clauses contractuelles avec leurs sous-traitants, ainsi que d’établir en place une procédure de réclamation pour les personnes affectées, les syndicats ou les ONG.

Reste à ce savoir si les entreprises européennes pourront tenir face à ce raz-de-marée réglementaire propre au continent européen.