Alors que la loi française sur le devoir de vigilance est applicable depuis 2017, c’est en ce mois de décembre 2022 que le Tribunal judiciaire de Paris sera amené à se pencher, pour la première fois, sur le sujet. Cela fait en effet plusieurs années que des ONG et associations ont assignées en justice certaines entreprises françaises pour ne pas avoir pris de mesures effectives pour prévenir les atteintes aux droits humains et à l'environnement sur l'ensemble de leur chaîne d'approvisionnement. Il est intéressant de noter que si une entreprise comme TotalEnergie a été la première visée par une assignation en justice en raison de son projet pétrolier en Ouganda et en Tanzanie, l’entreprise BNP Paribas a quant à elle été récemment mise en demeure pour son lien – financier – dans la déforestation illégale au Brésil.

Lancé il y a quelques mois avec le projet de directive, le processus réglementaire pour instaurer un devoir de vigilance européen s’accélère désormais. Le Parlement européen a explicité sa position en adoptant le projet de directive (voir encart ci-dessous). Un trilogue entre le Parlement européen, le Conseil européen et la Commission européenne doit débuter au mois de juin 2023 pour adopter un compromis sur les modalités du droit de vigilance européen. 

 

Enjeux et objectifs de la loi sur le devoir de vigilance

Apparue en réaction au drame du Rana Plaza survenu en 2013, la loi sur le devoir de vigilance est née de la volonté de responsabiliser les entreprises multinationales sur leur impact tout au long de leur chaîne de production, notamment sur les conditions de travail.

Pour rappel, la loi impose aux entreprises de plus de 5 000 salariés en France ou 10 000 dans le monde et sur deux exercices consécutifs de mettre en place un plan de vigilance qui se compose comme suit :

  • Une cartographie des risques
  • Des actions d’atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves
  • Une évaluation régulière de la situation des filiales, sous-traitants ou fournisseurs
  • Un mécanisme d’alerte et de recueil des signalements
  • Un dispositif de suivi des mesures mises en œuvre et d’évaluation de leur efficacité

L’objectif de cette loi est de favoriser un comportement à la fois durable et responsable des entreprises tout au long de leur chaîne de valeur et de leurs filiales. Les risques couverts sont les droits humains, l’environnement, les libertés fondamentales ainsi que la santé et la sécurité.

L’impact pour les entreprises est conséquent : cela implique de maîtriser l’ensemble de sa chaîne de valeur en réalisant des plans d’audit, des évaluations par questionnaire, des formations, un suivi des actions mises en œuvre…

 

Vers un devoir de vigilance européen

Poursuivant le processus législatif européen, le Conseil de l’Union européenne a adopté le 1er décembre 2022 sa position (orientation générale) tant attendue sur la Directive relative au devoir de vigilance.

Alors que la proposition de directive initiale prévoyait de s’appliquer à un périmètre d’entreprise relativement large, le Conseil de l’Union européenne a finalement retenu le seuil de 1000 salariés additionné à un chiffre d’affaires annuel de plus de 300 millions d’euros net. Pour rappel, la proposition initiale visait toutes les entreprises basées ou opérant dans l’Union européenne, qui emploient plus de 500 personnes (contre 5 000 au minimum actuellement en France) et réalisent un chiffre d’affaires annuel net de 150 millions d’euros,

Autre point important de la position du Conseil de l’Union européenne : la fourniture de services financiers par des entreprises financières réglementées pourra être exclue des activités concernées par la directive selon le choix qui sera fait par les Etats lors de la transposition de la directive.

La réduction du champ des entreprises concernées par rapport à la proposition initiale nous amène à constater que le projet de devoir de vigilance européenne devrait être moins ambitieux que prévu. En effet, on remarque que les Etats membres ont le choix d’inclure ou non les entreprises du secteur financier. De la même façon, le choix de retenir la notion de chaîne d’activités en lieu et place de la chaîne de valeur, plus restrictive car elle englobe principalement la chaîne d'approvisionnement des entreprises et une portion très restreinte de la partie en aval de la chaîne de valeur, témoigne d’un champ d’application resserré par rapport à ce qui était prévu initialement.

 

La fin du processus législatif

Mise à jour 15 juin 2023 : Le jeudi 1er juin 2023, le Parlement européen a adopté le projet de directive sur le devoir de vigilance des multinationales. Les entreprises concernées par le texte sont celles de plus de 250 salariés, plus de 40 millions d’euros de chiffre d’affaires en Europe et 150 millions à l’international. Le texte clarifie les conditions de la responsabilité civile en garantissant une réparation intégrale des dommages causés aux victimes. Les sanctions peuvent aller jusqu'à 5 % du chiffre d'affaires mondial et peuvent inclure des restrictions d'accès aux marchés publics.

Mise à jour 26 avril 2024 : Après un processus législatif qui aura duré plusieurs mois, La directive sur le « devoir de diligence » a été approuvée ce mercredi 25 avril 2024 par le Parlement européen. Il en ressort un devoir de vigilance restreint par rapport à la proposition initiale mais qui obligera les grandes entreprises à prévenir, stopper ou atténuer leur impact négatif sur les droits humains et l’environnement sur toute leur chaîne d’activité. 

Il est ainsi attendu des entreprises qu’elle mène une diligence raisonnable en matière de droits humains et de droits environnementaux basée sur les risques. Pour cela l’entreprise devra :

  • Intégrer le devoir de diligence dans ses politiques et ses systèmes de gestion des risques (cf. article 5)
  • Identifier et évaluer les impacts négatifs réels ou potentiels et les hiérarchiser (cf. articles 6 et 6a)
  • Prévenir et atténuer les impacts négatifs potentiels, mettre fin aux impacts négatifs réels et minimiser leur étendue (cf. articles 7 et 8)
  • Mettre en œuvre des mesures de remédiation face aux impacts négatifs réels (cf. article 8c)
  • Mener un engagement significatif avec les parties prenantes (cf. article 8d)
  • Établir et maintenir un mécanisme de notification et une procédure de plainte (cf. article 9)
  • Contrôler l’efficacité des politiques et des mesures de diligence raisonnable (cf. article 10)
  • Communiquer publiquement au travers d’un rapport annuel sur le devoir de diligence (cf. article 11)

Par ailleurs, les entreprises devront également adopter un plan de transition (i.e. les actions découlant de ce plan de transition relèvent d’une obligation de moyen et non de résultat) pour rendre leur modèle économique compatible avec la limite de 1,5 °C de réchauffement climatique fixée par l’Accord de Paris.

La directive doit encore être officiellement approuvée par le Conseil avant d'être publiée au Journal officiel de l'Union européenne (JOUE). Elle entrera en vigueur 20 jours après sa publication. Sa transposition dans la législation nationale des Etats membres devra intervenir dans les 2 ans.

 

Quelles seront les entreprises concernées par le droit de vigilance européen ?

Le texte de la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, votée par le Parlement européen le 25 avril dernier, prévoit un champ d'application précis. Les entreprises concernées par le droit de vigilance seront :

  • Les entreprises (ou groupe) européen(ne)s de plus de 1000 salariés, avec un chiffre d'affaires mondial supérieur à 450 millions d'euros.
  • Les entreprises européennes ayant conclu un contrat de franchise / licence, avec des redevances supérieures à 22.5 millions d'euros et un chiffre d’affaires mondial supérieur à 80 millions d'euros.
  • Les entreprises (ou groupe) non européen(ne)s qui génère un chiffre d’affaires supérieur à 450 millions d'euros.
  • Les entreprises non européennes ayant conclu un contrat de franchise / licence, avec des redevances supérieures à 22.5 millions d'euros dans l’Union européenne et un chiffre d’affaires généré dans l’UE supérieur à 80 millions d'euros.

 

Et maintenant ?

Force est de constater que l’étau se resserre autour des entreprises qui voient leur responsabilité juridique se renforcer : en cas de dommage directement lié à la non-exécution ou aux manquements d'un plan de vigilance mis en place par le groupe, la société mère devra réparer le dommage subi. En outre, bien que leur issue soit incertaine, les affaires en cours pourraient avoir un impact réputationnel et d’image conséquent pour les entreprises concernées.

Ces nouvelles obligations de vigilance impliquent une responsabilité sociale et désormais juridique. Les entreprises doivent justifier de démarches efficientes en matière de droits humains auprès de leurs parties prenantes mais également de la société civile voire des autorités le cas échéant. S’agissant d’un domaine encore en construction, où il n’y a pas encore de jurisprudence en la matière et où le projet de texte européen n’est pas encore finalisé, cela nécessite une capacité d’adaptation accrue de la part des entreprises.


RSM peut vous accompagner à la mise en place de votre plan de vigilance, vous assurant ainsi la maîtrise des risques dans votre chaîne de valeur.