Les fusions-acquisitions dans les produits de consommation restent stables mais ciblées sur des marques premium et évolutives, ainsi que sur des investissements prudents des fonds de private equity
L’évolution des comportements, portée par la crise du coût de la vie, stimule la demande de produits premium accessibles et de commerces axés sur l’expérience
La durée prolongée des due diligences et les écarts de valorisation soulignent la nécessité d’une préparation rigoureuse et de propositions de valeur claires
Les fusions-acquisitions (M&A) dans le secteur des produits de consommation ont toujours été guidées par l’évolution des préférences des consommateurs, les conditions économiques et les dynamiques sectorielles. Plus récemment, ce secteur a été marqué par la hausse des taux d’intérêt, la persistance de la crise du coût de la vie et la transformation des comportements des consommateurs. Ces facteurs ont créé un environnement complexe mais riche en opportunités pour les investisseurs et acquéreurs.
En s’appuyant sur les analyses de Frank Dunne, Consulting Partner chez RSM en Irlande, et d’Éric Fougedoire, Associé – Corporate Finance chez RSM en France, nous explorons les dernières évolutions, les défis et les perspectives de l’activité M&A dans l’industrie des produits de consommation.
Dynamique actuelle du M&A dans les produits de consommation
La première moitié de l’année 2025 a été marquée par une activité de M&A stabilisée, mais sélective, dans le secteur des produits de consommation. « Nous constatons un fort intérêt pour les marques premium, leaders de catégorie, disposant de perspectives évolutives et prêtes à l’export », souligne Frank Dunne. « Les opportunités les plus solides se situent dans l’alimentaire premium, le bien-être et certains produits ménagers spécialisés. Les acheteurs privilégient les marques disposant d’une forte notoriété, d’un contrôle de leur distribution et d’une capacité de croissance, que ce soit via le retail, l’expansion internationale ou des modèles hybrides. » Cette tendance reflète un mouvement plus large en Europe, où les entreprises ciblent prioritairement des marques premium et leaders de catégorie.
Selon Éric Fougedoire, cet engouement pour les acquisitions s’explique surtout par « la croissance organique limitée rencontrée par une grande majorité d’acteurs, qui les conduit à privilégier des stratégies de croissance externe ». Les acheteurs stratégiques disposant de bilans solides dominent encore le marché, finançant les opérations de M&A grâce à leurs ressources. Progressivement, les fonds de private equity apparaissent de manière plus sélective. « Le private equity privilégie principalement des acquisitions de complément sur des plateformes existantes, afin de diversifier certains produits, canaux de distribution ou zones géographiques », précise Éric Fougedoire.
Par ailleurs, le processus de due diligence est devenu plus détaillé en 2025, reflétant la complexité du secteur. Frank Dunne explique : « Les acheteurs veulent une visibilité accrue sur les performances récentes et attendent des prévisions robustes, assorties d’hypothèses commerciales solides. » Cela accroît la pression sur les vendeurs, qui doivent être particulièrement bien préparés, tout en allongeant les délais des transactions.
Les technologies émergentes jouent un rôle crucial dans l’optimisation de la due diligence. Éric Fougedoire précise : « L’analytique de données permet de bâtir une base indépendante et centralisée pour les investissements, facilitant une prise de décision plus stratégique et éclairée. » Malgré ces avancées, la durée des due diligences s’est significativement allongée, atteignant souvent 12 à 16 mois. Ces délais prolongés s’expliquent en grande partie par des performances commerciales insuffisantes ou irrégulières et une conversion de trésorerie faible, les résultats trimestriels demeurant volatils et peu efficaces.
Les principaux défis des acteurs du M&A
Conclure une transaction en 2025 reste semé d’embûches. L’un des obstacles les plus récurrents, observé dans de nombreux secteurs, concerne l’alignement sur la valorisation. Frank Dunne précise : « L’alignement des valorisations demeure un défi constant, notamment lorsque les performances passées ne sont pas considérées comme un indicateur fiable du potentiel futur. » Les acheteurs se montrent de plus en plus disciplinés, privilégiant les entreprises disposant de leviers de croissance clairs, d’une stabilité des marges et de fondamentaux solides.
Éric Fougedoire abonde dans ce sens, en notant que « l’écart entre les prix attendus par les vendeurs, fondés sur des multiples et un EBITDA post-Covid, reste un problème majeur ». D’autres défis incluent la volatilité des performances commerciales et un environnement de taux d’intérêt élevé, qui compliquent davantage les négociations.
L’incertitude géopolitique pèse également. Frank Dunne souligne que des due diligences approfondies et ciblées sont devenues essentielles : « Les vérifications se sont intensifiées, en particulier autour du besoin en fonds de roulement et de la rentabilité sous-jacente. » Les vendeurs doivent eux aussi investir dans une préparation robuste afin d’être véritablement « exit-ready » face à des acquéreurs toujours plus sélectifs.
Impact de la crise du coût de la vie
La crise du coût de la vie se poursuit en 2025, influençant toujours les habitudes de consommation et, par ricochet, l’activité M&A. Éric Fougedoire observe une polarisation croissante entre le marché du bas de gamme et celui du luxe : « Les consommateurs soucieux de leur budget privilégient les produits essentiels et les marques de distributeur, tandis que les plus aisés maintiennent, voire augmentent, leurs dépenses dans les biens premium. »
Cette dynamique favorise l’émergence d’un nouveau segment : l’« accessible premium ». Frank Dunne explique : « Les consommateurs plébiscitent les marques qui apportent de la qualité, une raison d’être ou un bénéfice fonctionnel, même si leurs dépenses globales deviennent plus réfléchies. » Ce segment résilient combine perception de valeur, qualité et accessibilité.
Des sous-secteurs comme l’alimentaire, la cosmétique et les produits ménagers répondent à ces évolutions par des innovations ciblées. Frank Dunne note : « Dans l’alimentaire et le bien-être, l’accent est mis sur les bénéfices fonctionnels et les étiquettes claires. Dans la cosmétique et les produits ménagers, la résilience de la chaîne d’approvisionnement et la durabilité demeurent des facteurs de différenciation. » Les entreprises affinent ainsi leurs stratégies de prix tout en s’appuyant sur des innovations conformes aux attentes des consommateurs en matière de qualité, d’éthique et de praticité.
Comportements des consommateurs et impacts sur le M&A
Les préférences des consommateurs continuent de redessiner le paysage du M&A, les dimensions expérientielles prenant de plus en plus d’importance. L’authenticité des marques est devenue centrale. « Les consommateurs accordent davantage de valeur à l’authenticité et à la connexion, que ce soit à travers le récit de la marque, l’engagement personnalisé ou l’expérience en magasin », souligne Frank Dunne. Les entreprises doivent donc investir dans la fidélisation, le contenu et la construction de communautés pour renforcer la relation client.
L’« économie de l’expérience », amplifiée par les réseaux sociaux et les évolutions culturelles, a accru l’attrait du retail expérientiel. Éric Fougedoire remarque : « Les marques transforment les points de vente physiques en espaces expérientiels, offrant des environnements immersifs qui stimulent les sens et créent du lien social. » Ces initiatives rendent les entreprises orientées expérience particulièrement attractives pour des acquisitions.
La montée des modèles D2C (direct-to-consumer) et e-commerce influence également l’activité M&A. Selon Frank Dunne, bien que l’essor initial du D2C se soit normalisé, « les marques digital natives restent attractives dès lors que les coûts d’acquisition client sont maîtrisés et que la logistique est sous contrôle ». Les acheteurs accordent une valeur croissante aux capacités digitales intégrées, capables de renforcer l’engagement et la rétention client.
Le rôle du private equity
Le private equity poursuit son expansion, y compris dans le secteur de la distribution et des produits de consommation. « L’alimentation fonctionnelle, les soins personnels liés à la santé et les emballages durables restent des domaines actifs d’investissement, avec une priorité accordée à l’authenticité et à des fondamentaux solides », indique Frank Dunne.
Éric Fougedoire relève une tendance aux acquisitions de complément : « Les entreprises privilégient de petites opérations stratégiques qui viennent renforcer les activités existantes, élargir leurs capacités et leur présence sur le marché. » Ces opérations visent souvent à créer de la valeur ajoutée de manière rentable au sein des portefeuilles existants.
Les mécanismes d’earnout deviennent par ailleurs essentiels pour combler les écarts de valorisation dans les deals de private equity, surtout dans un marché prudent marqué par des performances fluctuantes. Frank Dunne précise : « Ces dispositifs sont désormais davantage liés à des indicateurs précis et assortis de mécanismes de gouvernance pour éviter toute ambiguïté après la transaction. »
Perspectives
Pour les six prochains mois et au-delà, l’activité M&A ne devrait pas connaître de bouleversements majeurs. Frank Dunne estime : « Nous anticipons une activité stable sur le segment mid-market, avec une demande soutenue pour des entreprises de qualité, portées par des marques fortes. Les acheteurs restent sélectifs, mais lorsqu’une entreprise dispose de fondamentaux solides et d’une marque en résonance avec les consommateurs, nous observons une réelle conviction. »
Éric Fougedoire partage un point de vue similaire : « L’activité M&A devrait rester comparable à celle du premier semestre de l’exercice 2025. » Bien que le marché demeure globalement prudent, les opérations orientées valeur et les acquisitions de complément continueront de jouer un rôle significatif.
Comme le conclut Frank Dunne : « En définitive, l’engagement des acheteurs dépend de la qualité et de la résilience de l’entreprise — une grande partie de la valeur repose sur une préparation précoce et un positionnement soigné, afin que les vendeurs soient véritablement prêts pour la sortie. » Cela souligne l’importance, pour les entreprises, de rester agiles, de clarifier leur proposition de valeur et d’investir dans leur préparation, alors que le secteur continue de naviguer entre pressions économiques et évolutions des comportements des consommateurs.