A retenir
L’inaptitude au travail reste toujours une situation sensible, à la croisée du droit du travail, de la santé et de la gestion RH
Elle implique des obligations strictes pour l’employeur en matière d’aménagement du poste, de reclassement et, en dernier recours, de licenciement.
Nos experts vous proposent une lecture claire des étapes clés, des risques et des bonnes pratiques à adopter
L’inaptitude au travail reste toujours une situation sensible, à la croisée du droit du travail, de la santé et de la gestion RH. Elle implique des obligations strictes pour l’employeur, notamment en matière d’aménagement du poste, de reclassement et, en dernier recours, de licenciement.
Parce que les règles sont complexes et que les erreurs peuvent coûter cher (à travers essentiellement un contentieux prud’homal pouvant s’avérer long), nos experts vous proposent une lecture claire des étapes clés, des risques et des bonnes pratiques à adopter.
Constat d'inaptitude : définir le cadre et sécuriser la démarche
Qu'est-ce que l'inaptitude ?
Selon le Code du Travail (art. L.4626-4), un salarié est déclaré physiquement inapte par le médecin du travail lorsque celui-ci constate qu’aucune mesure d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail occupé n’est possible et que l’état de santé de l’intéressé justifie un changement de poste.
En revanche, le salarié doit être déclaré apte si son état de santé lui permet d’être réintégré sur son poste, si nécessaire après la mise en œuvre de mesures individuelles d’aménagement, d’adaptation ou de transformation de ce poste, ou d’aménagement de travail.
Il existe deux types d'inaptitude:
- Liée à la vie professionnelle - qui sera ainsi qualifiée d'inaptitude professionnelle - par exemple: à la suite d'un accident de travail ou d'une maladie professionnelle.
- Indépendante du travail - inaptitude non professionnelle - à la suite d'une maladie par exemple.
La différence entre ces deux inaptitudes est importante puisque les conséquences indemnitaires à la sortie ne sont pas les mêmes, en cas de rupture de contrat de travail.
Attention : la jurisprudence rappelle que les règles protectrices applicables aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie s’appliquent dès lors que l’inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins, partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l’employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement. (Jurisprudence constante: Cass.soc. 28 février 2024, n°22-19.878)
Quand est constatée l'inaptitude ?
-> Lors de la visite de reprise
Pour rappel, la visite médicale de reprise est obligatoire dans les conditions suivantes :
- Après congé maternité;
- Bénéficiant d'un suivi individuel renforcé ou travaillant de nuit;
- Après absence pour cause de maladie professionnelle, peu importe la durée ;
- Après absence pour accident du travail pendant 30 jours;
- Après absence pour maladie ou accident non professionnel de plus de 30 jours.
Lorsque l’employeur a connaissance de la date de fin d’arrêt de travail, il saisit le service de santé au travail qui organise l’examen de reprise (Code du Travail, art. R.4624-31).
L’employeur doit organiser une visite de reprise, y compris lorsqu’il est informé du classement du salarié 2ème catégorie, sauf si le salarié manifeste sa volonté de ne pas reprendre son poste de travail. Il ne peut se contenter d’inviter le salarié à prendre rendez-vous, c’est l’employeur qui doit prendre attache avec la médecine du travail.
Cette visite doit être organisée au moment de la reprise et au plus tard dans un délai de 8 jours qui suit la reprise. Le salarié qui ne se rend pas à l’examen du médecin de travail peut commettre une faute grave entraînant le cas échéant des sanctions disciplinaires.
-> A tout moment à l'occasion de n'importe quelle visite
C’est-à-dire :
- lors d'une visite obligatoire de suivi;
- à l'occasion d'une visite de reprise du travail;
- ou à tout moment si l'état de santé du salarié le justifie.
Tout salarié peut - lorsqu’il anticipe un risque d’inaptitude – solliciter une visite médicale dans l’objectif d’engager une démarche de maintien dans l’emploi.
Il existe cependant une exception : le médecin n’est pas en mesure – juridiquement – de constater l’inaptitude lors d’une visite de pré-reprise.
Parfois un second examen médical est nécessaire : si le médecin du travail estime qu’un second examen est nécessaire pour rassembler les éléments permettant de motiver sa décision, il doit le réaliser dans un délai qui n’excède pas 15 jours après le 1er examen.
L’inaptitude du salarié à son poste ne peut être constatée que par le médecin du travail et en aucun cas par le médecin traitant ou les services de la CPAM.
Le médecin du travail doit :
- réaliser un examen médical de l'intéressé, accompagné, le cas échéant des examens complémentaires, permettant un échange sur les mesures d'aménagement, d'adaptation ou de mutation de poste ou la nécessité de proposer un changement de poste;
- réaliser une étude de ce poste;
- réaliser une étude des conditions de travail dans l'établissement et indiquer la date à laquelle la fiche d'entreprise a été actualisée;
- procéder à un échange, par tout moyen avec l'employeur
L'avis d'inaptitude: un nouveau modèle pour plus de clarté entré en vigueur depuis le 1er juillet 2025
Le nouveau modèle d’inaptitude – arrêté du 3 mars 2025 – introduit une harmonisation des formulaires. Ce document désormais plus détaillé doit comporter :
- les conclusions médicales sur les capacités du salarié;
- les préconisations de reclassement ou de maintien;
- les mentions de dispense éventuelle de reclassement
L’avis d’inaptitude rendu par le médecin est éclairé par des conclusions écrites, assorties d’indications relatives au reclassement du travailleur. En cas de doute sur le contenu de l’avis écrit, il est impératif de demander des éclaircissements au médecin du travail.
Par ailleurs depuis le 1er juillet 2025, l’avis médical d’inaptitude mentionne expressément le deux cas exceptionnels privant le salarié de son droit à reclassement par l’employeur permettant à ce dernier d’être dispensé de consulter le Comité social et économique (CSE) sur les propositions de reclassement (dispense de reclassement).
L’avis d’inaptitude constitue le point de départ de la procédure. Il est indispensable que l’employeur lise attentivement l’avis médical et conserve à l’esprit la nécessité selon la situation avisée d’échanger avec la médecine du travail tout en conservant des éléments de preuve confirmant ses mêmes échanges.
Le nouveau formulaire de l’avis médical rappelle expressément que le salarié comme l’employeur peuvent contester l’avis du médecin. En effet, en cas de contestation de l’avis, un recours est possible auprès du conseil de prud’hommes dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l’avis médical.
L'obligation de reclassement : étape incontournable
Quelle est l'étendue de cette obligation ?
Lorsque le salarié est déclaré inapte à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités. Cette proposition prend en compte, après avis du CSE, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existantes dans l’entreprise.
En effet, le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d’une formation le préparant à occuper un poste adapté à ses compétences.
Dans ce cas, il existe des points de vigilance :
- Le salarié doit se voir proposer un autre emploi approprié à ses capacités;
- Les postes temporairement disponibles doivent être inclus - comme les contrats à durée déterminée
- L'employeur doit faire préalablement valider par le médecin du travail le/les poste(s) de travail
L’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi en prenant en compte l’avis et les indications du médecin de travail.
En présence d’une possibilité de reclassement, l’employeur se doit, dans le cadre d’un principe de bonne foi, de proposer le reclassement dans le cadre d’un document écrit reprenant les éléments suivants : le(s) poste(s) proposé(s) ; fonction et détail des tâches, rémunération (modalités), temps de travail et lieu, mobilité et dispositions.
Il est nécessaire de laisser aux salariés une période de réflexion et de réponse suffisants.
Sur quel périmètre s'applique cette obligation ?
La recherche des possibilités de reclassement du salarié déclaré inapte à reprendre l'emploi qu'il occupait s'apprécie au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
La notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L.233-1, aux I et II de l'article L.233-3 et L.233-16 du Code de Commerce.
Point de vigilance : Les possibilités de reclassement, au sein d'un groupe, du salarié déclaré inapte physiquement à son poste de travail s'apprécient, au plus tard, au prononcé du licenciement (notification) de l'intéressé.
Les deux cas de dispense de reclassement prévus par la loi
Il existe deux cas de dispense de reclassement prévus par la loi. Le médecin a expressément mentionné sur l'avis d'inaptitude que :
- Tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé;
- Son état de santé fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.
L’employeur n’est ainsi pas tenu de rechercher et de proposer au salarié concerné une solution de reclassement et il peut procéder au licenciement du salarié, sans avoir l’obligation, de consulter le CSE (Cour de cassation, 8 juin 2022).
Il est nécessaire de bien se référer aux termes précis de l’avis émis par le médecin du travail pour s’assurer que l’employeur est bien dispensé de rechercher une solution de reclassement.
Que faire s'il est impossible de reclasser le salarié ?
Si l’employeur ne peut reclasser le salarié, alors l’employeur a l’obligation d’informer le salarié des motifs justifiant l’impossibilité de reclassement. Ainsi, il doit lui faire connaître par écrit les motifs qui s’opposent à son reclassement.
Cette information est obligatoire et prévue par les textes de loi, après consultation et avis du CSE (s’il existe).
Le licenciement du salarié reconnu inapte peut être envisagé :
- En cas d’impossibilité pour l’employeur à proposer un emploi compatible avec son état de santé ;
- Ou en cas de refus par le salarié d’un emploi proposé dans les conditions mentionnées ci-dessus et conformes aux préconisations du médecin du travail.
Si l’avis d’inaptitude mentionne expressément que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que son état de santé fait obstacle à tout reclassement dans un emploi, alors il est tenu d’engager la procédure de licenciement.
Avis d'inaptitude: schéma récapitulatif des procédures selon le reclassement ou non envisageable
Tableau de synthèse
A la suite de la notification de l'avis, il existe deux possibilités:

Rappel de la procédure légale de licenciement en dehors d'éventuels aménagements prévus par la convention collective applicable à l'entreprise

Quelles indemnités de rupture à verser en cas de licenciement ?
Le versement des indemnités de rupture dépend de l’origine de l’inaptitude.
En cas d'inaptitude non professionnelle:
Le salarié a droit à l’indemnité conventionnelle de licenciement selon la Convention collective applicable ou légale si celle-ci est plus favorable. Cependant le salarié ne perçoit pas d’indemnité compensatrice de préavis sauf dispositions conventionnelle contraire.
Le préavis est par ailleurs pris en compte pour le calcul de l’indemnité de licenciement.
En cas d'inaptitude professionnelle:
Le salarié bénéficiera des indemnités suivantes :
- Indemnité compensatrice d’un montant égal à l’indemnité de préavis. Attention il ne s’agit pas d’une indemnité ouvrant droit à des congés payés;
- Indemnité conventionnelle de licenciement ou si elle est plus favorable l’indemnité spéciale de licenciement, égale au double de l’indemnité légale
- Le salaire de référence à prendre en considération pour le calcul de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salaire, celui des douze ou des trois derniers mois.
Cependant, ces indemnités ne sont pas dues par l’employeur si le refus par le salarié du reclassement qui lui est proposé est abusif.
Dans cette dernière hypothèse, l’employeur sera tenu de verser au salarié l’indemnité légale de licenciement.
Point de vigilance : L’employeur a l’obligation de reprendre le versement du salaire dès l’expiration du délai d’un mois à compter de la déclaration de l’avis de l’inaptitude si le salarié n’est pas reclassé. Par voie de conséquence, une prompte réaction de l’employeur est indispensable dans une hypothèse d’inaptitude. Dans cette perspective, il est tenu de verser le salaire correspondant à l’emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail.
Attention : le salaire est fixé forfaitairement au montant du salaire antérieur à la suspension du contrat. L’employeur ne peut pas déduire de ce salaire les indemnités journalières qui auraient été versées par la sécurité sociale (IJSS).
Quelles sont les sanctions en cas de contentieux prud'homal sur le licenciement notifié ?
Si l'inaptitude est d'origine non professionnelle:
En cas de licenciement prononcé par l’employeur en méconnaissance de son obligation de reclassement, dont celle lui imposant de consulter le CSE est sans cause réelle et sérieuse : droit à l’indemnité prévue à l'article L.1235-3 du Code du travail, en cas de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Cette indemnité est cumulable avec l’indemnité de licenciement et l’indemnité de préavis.
2. L'inaptitude est d'origine professionnelle
En cas de licenciement prononcé en méconnaissance des dispositions relatives au reclassement du salarié déclaré inapte, le tribunal saisi, peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.
En cas de refus de réintégration par l’une ou l’autre des parties, le juge octroie une indemnité au salarié dont le montant est fixé conformément aux dispositions de l'article L.1235-3-1 du Code du travail applicable aux licenciements nuls ou prononcés en violation d’une liberté fondamentale (minimum égal à 6 mois de salaire sans conditions d’ancienneté, ni d’effectif).
Elle se cumule avec l’indemnité compensatrice et le cas échéant, l’indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l’indemnité légale de licenciement.
La gestion de l’inaptitude du salarié reste un enjeu majeur pour tout chef d’entreprise et les responsables RH. Le processus implique des interventions à la fois juridique, humaine et organisationnelle. La jurisprudence en matière d’inaptitude continue d’être abondante ce qui justifie non seulement une veille constante sur les décisions que doivent prendre les responsables dans les entreprises ; mais également la plus grande attention sur le sort du contrat de travail en présence d’un avis d’inaptitude comportant ou non des indications du médecin du travail en matière de reclassement.
Nos experts recommandent de formaliser chaque étape, d’archiver les échanges avec le service de la santé au travail et de former les managers à la détection des situations de fragilité.
Il est indispensable d’adopter des postures de proactivité afin de garantir un environnement juridique serein pour l’entreprise mais également les droits du salarié qu’il tient notamment de son contrat de travail.