Très répandu dans des pays voisins où il fait l’objet d’un cadre légal particulier, le portage salarial est encore peu répandu en Suisse. Ce contrat de travail d’un nouveau genre présente pourtant de nombreux avantages. S’inspirant de la pratique des indépendants, en termes de flexibilité et d’autonomie, le portage offre en parallèle la même protection sociale que le droit du travail accorde aux salariés classiques. Cependant, seuls les statuts de salariés ou d’indépendants sont reconnus en Suisse. Il n’existe pas de dispositions spécifiques en droit pour les portés et peu de jurisprudence, ce qui peut amener à une requalification en activité indépendante. Explications.

 

 

Le portage salarial, quel cadre juridique ?

Situé à la frontière entre le statut de salarié et celui d’indépendant, le portage salarial est juridiquement considéré comme une relation tripartite qui combine deux contrats déjà présents dans la pratique :

  • D’une part, un contrat de travail classique entre le porté et la société de portage ;
  • Et d’autre part, un contrat de location de services entre l’entreprise cliente et la société de portage.

 

La relation qui lie le « porté » à l’entreprise de portage est ainsi assimilée à une relation de travail classique et ce, même si le porté bénéficie d’une relative autonomie dans l’exercice de ses missions. Ce contrat est constitué en effet des quatre éléments essentiels du contrat de travail :

  1. Une prestation de travail

  2. Un salaire

  3. Une durée

  4. Un lien de subordination

 

Le critère de la subordination doit toutefois être relativisé en ce qui concerne les cadres exerçant des professions typiquement libérales ou ayant des fonctions dirigeantes. L'indépendance de l'employé est alors de facto beaucoup plus grande et la subordination essentiellement organisationnelle. Dans un tel cas, la prise en charge par l’employeur du risque de l’entreprise plaide notamment en faveur du contrat de travail : le travailleur renonce à participer au marché comme entrepreneur, assume le risque économique et abandonne à un tiers l'exploitation de sa prestation en contrepartie d'un revenu assuré (Arrêt du TF 4A_200/2015 du 3 septembre 2015). Tel est le cas du porté dans le cadre d’un portage salarial, qui jouit d’une certaine indépendance, mais qui ne prend pas de gros risques économiques. En effet, ce dernier reçoit un revenu, certes parfois variable, mais assuré.

Attention toutefois, car dans un arrêt du 28 mars 2017 de la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice du canton de Genève, le contrat passé entre un porté et une société de portage a été qualifié de « contrat de travail simulé ». Le lien de subordination n’était pas suffisamment établi et aucun salaire n’avait été versé au porté.

Le principal risque de ce type de relation réside donc dans l’insécurité juridique découlant de la qualification au cas par cas des situations de portage salarial par les autorités, à la fois administratives et judiciaires.

Conformément au droit du travail, il est important d’établir au préalable le cadre de la relation de portage et de prévoir les conditions de travail dans lesquelles s’exerceront les missions de portage (nature des prestations, salaire prévu, temps de travail, congés, durée du contrat de portage et un lien de subordination).

 

 

Le portage salarial, quels avantages ?

Se libérer des contraintes juridiques, comptables et administratives liées à la création d’une nouvelle entreprise constitue le principal avantage du contrat de portage salarial. Le choix de cette solution permet aux professionnels de confier la gestion de l’ensemble de ces problématiques à une société unique dite « de portage » et d’être immédiatement opérationnel pour le déploiement de leur activité professionnelle.

 

Parmi l’éventail de prestations proposées par ces sociétés de portage se trouvent notamment :

  • La prise en charge de toutes les obligations sociales
  • e prélèvement des cotisations sociales et leur versement auprès des différents organismes
  • e prélèvement de l’impôt à la source
  • a facturation aux clients
  • Le traitement de la comptabilité
  • L’assistance en matière d’immigration
  • etc.

 

Sur le plan juridique, le professionnel porté sera considéré comme l’équivalent d’un salarié de l’entreprise de portage salarial. Pour gérer tous les aspects de cette relation de travail, ces sociétés de portage vont généralement prélever une commission de l’ordre de 5 à 10% sur le total des honoraires reçus par le porté.

Le portage présente l’avantage de la sécurité pour débuter sans risque une nouvelle activité professionnelle ou tester la viabilité d’un projet, en profitant des garanties offertes par le droit du travail et de l’assistance juridique d’une société spécialisée.

Ce nouveau mode de contractualisation est aussi un gage de liberté et de diversification pour des cadres en phase de repositionnement professionnel. Il leur permet à la fois de choisir leurs missions, mais également d’offrir leur expertise à diverses entreprises et d’intervenir dans des secteurs d’activités très variés.

Actuellement, la pratique du portage intéresse une très large gamme de profils et de métiers : secteur de l’informatique, du marketing, de la communication ou encore des ressources humaines. Cette pratique était initialement utilisée par des cadres seniors désireux de conserver une activité à l’âge de la retraite ou de s’assurer un complément de revenu. Elle s’est aujourd’hui étendue à un panel diversifié d’experts encore en activité, qui bénéficient d’une expérience professionnelle reconnue dans leur domaine et d’une autonomie suffisante pour démarcher leur propre clientèle.

Le porté va disposer du libre choix de trouver ses missions et ses clients, mais il arrive fréquemment que certaines sociétés de portage proposent une assistance dans la recherche de prospects, ainsi qu’un accès à leur réseau d’entreprise. Le porté est autonome dans l’exercice de son activité et dans la négociation de ses prestations avec les entreprises. Il lui appartient de fixer lui-même avec l’entreprise l’étendue, la durée, les modalités d’exécution et le montant de la prestation avant le début de la mission. La société de portage salarial peut également proposer au porté un accompagnement dans sa négociation avec les entreprises clientes.

Des consultants font parfois le choix de cette solution pour proposer leurs services à l’international sur de courtes missions et facturer de manière simple leurs clients étrangers. Ils peuvent alors opter pour le statut de travailleur détaché ou expatrié. La société de portage salarial prendra alors en charge tous les aspects administratifs de cette relation.

Autre avantage de cette pratique, le portage constitue un outil d’optimisation et de rationalisation des coûts, tant au niveau des portés que des entreprises de mission. D’un côté, le porté confie ses tâches administratives à un interlocuteur unique, lui permettant de consacrer son temps exclusivement à l’exercice de son cœur de métier. De l’autre côté, les entreprises de mission ont un outil qui leur permet d’embaucher de manière rapide et flexible, leur épargnant ainsi les contraintes liées au processus de recrutement.

Dans les périodes difficiles, il s’agit d’une opportunité intéressante pour des sociétés soucieuses de maîtriser leur budget et réticentes à engager de nouveaux collaborateurs. Recourir aux prestations externalisées d’un porté peut aussi être une solution pour des entreprises dont l’activité ne nécessite pas la création d’un poste fixe en interne.

 

 

Le portage salarial, quelle couverture sociale ?

Dans le cadre du portage salarial l’entreprise de portage affilie le porté aux assurances sociales, en agissant en qualité d’employeur de celui-ci. Le porté va donc cotiser aux différentes assurances sociales comme un salarié classique et à ce titre, va pouvoir bénéficier de toutes les protections sociales que la réglementation leur accorde.

Contrairement aux indépendants qui ne bénéficient pas de couverture chômage, qui n’ont pas d’obligation de couverture assurance accident et pas de prévoyance professionnelle obligatoire, les portés sont bien couverts : AVS, AI, assurance chômage, prévoyance professionnelle LPP, assurance accidents professionnels et non-professionnels, congés, 13ème salaire et assurance perte de gain maladie (dès le 3ème jour de maladie).  

Cependant, le paiement de la part employé et de la part employeur revient uniquement au porté. La société de portage agit seulement comme un intermédiaire. La déduction de ces cotisations est toutefois admise dans le cadre de la déclaration d’impôt.

Attention cependant, car même si au regard de l’assurance chômage, le porté bénéficie des mêmes garanties qu’un salarié, les caisses de compensation AVS se réservent le droit de refuser le versement d’indemnités chômage s’il est établi qu’aucun rapport de subordination, même restreint, ne lie le porté avec le client ou avec l’employeur, et qu’il ne supporte aucun risque économique. Il sera alors considéré comme un travailleur indépendant et ne pourra pas prétendre à la couverture sociale liée au statut de salarié.

Un contrat de travail n'est pas conclu si le seul but des parties est de soumettre le porté au régime des assurances sociales réservé au salarié (Le portage salarial : analyse en droit du travail et des assurances sociales suisses, in : Jusletter 22 octobre 2012, n. 6; PORTMANN/NEDI, Neue Arbeitsformen - Crowdwork, Portage Salarial une Employee Sharing, in : Tatsachen - Verfahren - Vollstreckung Festschrift für Isaak Meier, Zurich 2015 p. 538 et 39).

En effet, les caisses de compensation se basent sur l’existence d’un contrat de travail pour qualifier le porté de salarié. Cependant, en cas de litige entre l'employé et l'employeur ou si le porté dépose un dossier pour être indépendant par la suite, la nature des activités effectuées pourrait être analysée et le porté requalifié d’indépendant. Les caisses de compensation peuvent donc être amenées à analyser l'affiliation du porté en fonction des circonstances concrètes.

 

 

Il est donc très important de définir tous les paramètres de la relation de portage en amont afin de pouvoir bénéficier du droit au chômage à l’issue de son contrat de portage.

En termes de prévoyance retraite, les sociétés de portage proposent en principe différents « packs de prévoyance » que le porté choisi selon la couverture qu’il souhaite. Le taux de cotisation LPP variera en fonction de ce choix.

 

Le portage salarial, quel salaire ?

Ce contrat procure de nombreux avantages sur le plan pratique. Il permet notamment au porté de bénéficier du statut salarial et donc de percevoir un « salaire mensuel minimum », conformément aux usages de la profession et de la réglementation en vigueur.

De ses honoraires bruts seront déduits toutes les charges sociales usuelles, la commission pour frais de gestion, les provisions pour indemnités futures (par exemple, les congés payés) et éventuellement l’impôt à la source pour les contribuables ne remplissant pas les conditions pour déposer une déclaration d’impôt en Suisse.

En cas d’absence d’activité sur une ou plusieurs semaines, le porté sera éligible aux indemnités pour interruption d’activité et pourra également percevoir ses congés payés jusqu’à épuisement de son solde.

Enfin, la société de portage est tenue de respecter la réglementation applicable en matière d’horaires de travail. Les heures supplémentaires qui viennent s’ajouter à la durée hebdomadaire légale devront soit être compensées, soit être payées au porté. De la même manière, le nombre de jours de vacances minimum sera compris entre 20 et 25 jours ouvrables au minimum selon l’âge du porté.

 

 

Le portage salarial, quelle fiscalité ?

Considéré comme un salarié d’un point de vue juridique et social, il en va de même au niveau fiscal sur le base du contrat de travail. En conséquence, la rémunération issue de l’activité de portage sera considérée comme un revenu d’activité lucrative dépendante.

D’un point de vue pratique, le porté devra déposer une déclaration d’impôt classique chaque année s’il est de nationalité suisse, possède un permis C ou dispose une fortune imposable en Suisse. S’il ne remplit pas ces conditions, il sera simplement prélevé à la source tous les mois par la société de portage, avec la possibilité de déposer une rectification l’année suivante.

Le porté tenu de déposer une déclaration d’impôt devra reporter tous ses éléments de revenus, y compris les indemnités accessoires, telles que les indemnités, allocations ou commissions en tout genre.

En parallèle, il lui est possible de faire valoir toutes les déductions classiques dont bénéficient les salariés, comme les déductions relatives aux rachats et cotisations de prévoyance professionnelle (2ème et 3ème piliers) ou encore les déductions liées aux frais professionnels (frais de déplacements, de repas, de matériel professionnel, etc). Le choix de la déduction des frais professionnels effectifs est permis si le montant de ces derniers excède le montant prévu par la loi et que le porté fournit l’ensemble des pièces justificatives à l’appui de sa déclaration.

Comme pour les caisses de compensation, nous ne pouvons pas exclure qu’en cas de changement de situation ou de litige, les autorités fiscales ne procèdent à une analyse des circonstances pour taxer les revenus nets en tant qu’activité indépendante plutôt que salariée.

 

Nos recommandations

Derrière son aspect attractif et les nombreux avantages qu’il présente, le portage salarial est encore une pratique très récente en Suisse et par conséquent, les contours juridiques de cette activité restent incertains sur de nombreux points.

Pour éviter tout risque de requalification de la relation de travail en activité indépendante par les organismes d’assurances sociales ou les autorités fiscales, il est préférable d’établir au préalable le cadre de la relation de portage et de prévoir les conditions de travail dans lesquelles s’exerceront les missions dans une convention de portage.

 

Cette dernière devra contenir :

  1. La nature des prestations
  2. Le salaire prévu
  3. Le mode et le délai de versement du salaire
  4. Les modalités de remboursement des frais professionnels
  5. Le montant des frais de gestion
  6. Le temps de travail
  7. Les congés
  8. La durée du contrat de portage
  9. La nature du lien de subordination