Le 4 décembre 2019, l’Administration fédérale des contributions (AFC) publiait la circulaire n°48 sur l’assouplissement des conditions du droit au remboursement de l’impôt anticipé (IA) pour les personnes physiques.

 

Pour mémoire, l’impôt anticipé dont le taux est de 35% est un impôt perçu à la source, en particulier connu pour impacter les distributions ouvertes ou dissimulées de dividendes d’entités suisses. Il a un but primaire de garantie, à savoir forcer le contribuable à déclarer les rendements en cause. Lorsque la déclaration est effectuée, il est remboursé. Toutefois, en l’absence de déclaration, le remboursement est refusé et il devient ainsi un impôt définitif et punitif. Avant la modification légale dont il est fait état ici, ce refus de remboursement incluait également les cas dans lesquels le revenu en cause était finalement imposé par l’administration (contrôle, rappel d’impôt, dénonciation spontanée, etc.). Il y avait donc une double peine (impôt sur le revenu et refus de remboursement de l’IA), sans compter les amendes éventuelles.

 

Afin d’illustrer au mieux l’ancienne pratique de la nouvelle, considérons l’exemple suivant :

Un contribuable possède des actions d’une société suisse non cotée qui distribue sur une base trimestrielle un dividende de CHF 100 chaque trimestre et ceci depuis de nombreuses années. Ledit contribuable oublie malencontreusement et pour la première fois en 5 ans de déclarer dans sa déclaration d’impôt de l’année N un trimestre de revenu soit CHF 100 et un IA récupérable de CHF 35.

À la suite d’une demande de renseignement de l’administration fiscale, cette dernière ajoute le revenu de CHF 100 lorsqu’elle procède à l’émission de la décision de taxation de notre contribuable. Sur la base de l’ancienne pratique, le remboursement de l’IA de CHF 35 aurait été refusé alors qu’il est vraisemblable que sur la base de la nouvelle pratique ledit remboursement sera accordé dans le cas d’espèce.

Vous trouverez ci-dessous plus de détails sur la situation avant et après la modification de la loi sur l’IA entrée en vigueur avec effet rétroactif au 1er janvier 2019.

 

Avant la modification

Jusqu’à l’entrée en vigueur de la modification, l’autorité fiscale appliquait strictement les conditions pour obtenir le remboursement de l’IA et le Tribunal fédéral (TF) avait considéré à plusieurs reprises qu’une simple négligence suffisait à entraîner la déchéance du droit au remboursement.

 

En effet, dans les arrêts de principe du TF des 11 octobre 2011 (2C_95/2011) et 16 janvier 2013 (2C_80/2012), le TF a jugé que les conditions suivantes devaient être remplies pour obtenir le droit au remboursement de l’IA :

  • Obligation de déclarer dans la première déclaration consécutive à l’échéance du rendement
  • Droit de jouissance et domicile en Suisse à l’échéance de la prestation imposable
  • Indication ultérieure possible jusqu’à l’entrée en force
  • Principe de l’auto-déclaration
  • Le TF a considéré à plusieurs reprises qu’une simple négligence suffisait à entraîner la déchéance du droit au remboursement 
    • En ce sens, le fait que les autorités fiscales pouvaient se rendre compte du caractère incomplet d’une déclaration et avoir accès aux informations manquantes en effectuant une comparaison avec les dossiers fiscaux de tiers ou en les demandant au contribuable, à d’autres autorités fiscales ou à des tiers ne renversait pas l’obligation faite au contribuable de déclarer les rendements imposables grevés de l’IA

 

La déchéance du droit au remboursement de l’IA intervenait dès lors que les rendements imposables grevés de l’IA étaient déclarés à la suite d’une demande, d’une injonction ou d’une quelconque intervention de l’autorité fiscale au sujet de ces rendements.

Ainsi, une simple erreur d’inattention de la part du contribuable entraînait une perte de son droit au remboursement de l’IA de 35 %.

 

Nouveau droit

Le nouveau droit définit les conditions selon lesquelles la déchéance du droit au remboursement n’intervient pas, bien que le contribuable n’ait pas déclaré les revenus imposables spontanément à l’échéance des rendements.

 

Le nouvel art. 23 al. 2 LIA a la teneur suivante :

« Il n’y a pas de déchéance du droit si l’omission du revenu ou de la fortune dans la déclaration d’impôt est due à une négligence et si, dans une procédure de taxation, de révision ou de rappel d’impôt dont la décision n’est pas encore entrée en force, ce revenu ou cette fortune:

a. sont déclarés ultérieurement, ou

b. ont été portés au compte du revenu ou de la fortune suite à une constatation faite par l’autorité fiscale. »

Tout d’abord, les revenus concernés par l’IA continuent de devoir être annoncés spontanément par le contribuable dans la première déclaration consécutive à l’échéance du rendement et au plus tard jusqu’à l’entrée en force de la taxation. On considère qu’une décision est entrée en force lorsque le délai de réclamation de 30 jours est échu.

Mais dorénavant, dans une procédure de taxation, de révision ou de rappel d’impôt dont la décision n’est pas encore entrée en force, l’obligation de déclarer est aussi réputée accomplie lorsque ces revenus :

  • sont déclarés ultérieurement ;
  • ou ont été portés au compte du revenu ou de la fortune suite à une constatation faite par l’autorité fiscale.

 

La grande différence avec l’ancien droit réside dans le fait que les rendements ajoutés ou corrigés par l’autorité fiscale ne sont plus systématiquement exclus du remboursement.

Néanmoins il est nécessaire que l’omission de déclarer soit due à une négligence et par conséquent, dépourvue de caractère intentionnel.

 

Négligence ou intentionalité ?

Il ressort de la lecture de la circulaire n°48 que l’autorité fiscale accordera le remboursement sans procéder à d’autres investigations si la négligence du contribuable ressort des dossiers de l’autorité fiscale.

L’omission par négligence se distingue de l’omission intentionnelle, laquelle suppose que le contribuable agisse avec conscience et volonté. La preuve d’un comportement intentionnel est considérée comme apportée lorsqu’il est établi de façon suffisamment sûre que le contribuable était conscient que les informations données étaient incorrectes ou incomplètes.

Le motif de la non-déclaration des éléments de revenu et de fortune par le contribuable doit ainsi impérativement être la négligence, dans le but d’exclure du droit au remboursement tous les cas où il y a eu une intention du contribuable d’échapper à l’impôt sur le revenu ou la fortune.

Par conséquent, si l’autorité fiscale a des doutes sur le caractère non-intentionnel de l’omission, le contribuable sera appelé à renseigner l’autorité fiscale et il lui reviendra alors de démontrer qu’il n’était pas conscient que les informations données étaient incorrectes ou incomplètes. L’appréciation du caractère intentionnel ou non de l’omission revient à l’autorité fiscale et s’établira vraisemblablement en fonction de l’ensemble du comportement du contribuable lors de la déclaration.

Dans le nouvel article 23 al. 2 LIA, la notion de négligence est centrale et soulève des interrogations quant à l’application de cette condition subjective. Celle-ci a suscité des inquiétudes dans le monde fiscal et de nombreux auteurs se demandaient si elle donnerait lieu à une nouvelle jurisprudence ou si la jurisprudence actuelle en matière de droit pénal fiscal allait servir de base dans le cadre du remboursement de l’IA.

 

La notion de négligence selon la jurisprudence récente 

Depuis l’introduction de cet article dans la LIA, le TF a pu juger de certains cas. Il confirme notamment que « En l'occurrence, sur le plan subjectif, pour examiner si l'omission en cause est intentionnelle ou résulte de la négligence, il n'y a pas lieu de s'écarter de ce qui a été développé en matière de soustraction fiscale ».

Ainsi, selon la jurisprudence, une soustraction intentionnelle ou une tentative de soustraction suppose que le contribuable ait agi avec conscience et volonté. Il est important de noter que le dol éventuel, lequel suppose que l'auteur envisage le résultat dommageable, mais agit néanmoins car il s'en accommode au cas où il se produirait, suffit. La négligence ne sera pas retenue si quelqu'un n'observe pas la prudence à laquelle il est tenu selon les circonstances et sa situation personnelle. Par circonstances personnelles, on entend par exemple la formation, les capacités intellectuelles et l'expérience professionnelle d'une personne (2C_397/2017 - arrêt du 9 mai 2019)

Selon la jurisprudence constante, la preuve d'un comportement intentionnel en relation avec une tentative de soustraction fiscale doit être considérée comme apportée lorsqu'il est établi de façon suffisamment sûre que le contribuable était conscient du caractère incorrect et incomplet des informations fournies au fisc. Si cette conscience est établie, il faut présumer que le contribuable a volontairement cherché à tromper les autorités fiscales, ou du moins qu'il ait agi par dol éventuel, dans le but d'obtenir une taxation plus avantageuse. Il est également important de noter que cette présomption ne se laisse pas facilement renverser, étant donné qu’il est difficile d’imaginer un autre motif qui pourrait amener un contribuable à fournir aux autorités fiscales des informations qu'il sait incorrectes ou incomplètes.

Selon les arrêts de jurisprudence récents, il en ressort tout d’abord que ce nouveau droit est uniquement applicable aux prétentions de remboursement d’IA en lien avec des prestations dont l’échéance est à partir du 1er janvier 2014 et pour autant que le droit au remboursement de l'impôt anticipé n'ait pas encore fait l'objet d'une décision entrée en force (2C_901/2018 - arrêt du 17 juin 2019). Ainsi, les dividendes dont l’échéance arrivait avant cette date, ne peuvent bénéficier de ce nouvel art 23, al. 2 LIA.

De plus, l’omission par négligence du contribuable a notamment été retenue par le TF dans le cas d’un contribuable ayant omis de déclarer un rendement soumis à l’IA dans sa déclaration d’impôt, en ayant toutefois préalablement annoncé au fisc qu’il allait bénéficier de ce rendement en sollicitant l’administration pour de nouveaux bulletins pour ses acomptes, et en laissant la case dans sa déclaration d’impôt, en lien avec ce rendement, vide (2C_1110/2018 - arrêt du 27 juin 2019). Le TF retient également la notion de négligence dans le cas d’un contribuable ayant omis de déclarer un dividende dans sa déclaration fiscale sous l’état des titres, alors qu’il avait bien indiqué ce rendement dans l’annexe supplémentaire concernant les participations qualifiées dans la fortune privée (formulaire additionnel de la déclaration d’impôt du canton de Zurich), tout en remettant une copie du formulaire 110 à l’AFC en lien avec cette distribution de dividende (2C_224/2017 - arrêt du 16 aout 2019). Dans son arrêt du 16 septembre 2019 (2C_74/2018), bien que le fait qu’un contribuable connaisse l’existence d’un dividende, le TF admet que cela ne signifie pas qu'il était également au courant du caractère incomplet de la déclaration de revenus pour la période fiscale en question. En effet, ledit contribuable n’avait pas rempli lui-même ladite déclaration d’impôt, étant passé par le biais d’une fiduciaire. Cette dernière s’était basée sur les états financiers remis, où aucune distribution de dividende n’y était mentionnée. Or, selon le TF, rien n’indique que les plaignants ont sciemment et volontairement soumis des documents incomplets à leur mandataire. De plus, rien ne pouvait laisser croire à la fiduciaire le caractère incomplet des documents remis.

A noter que dans un autre arrêt soumis au TF (2C_1066/2018  - arrêt du 21 juin 2019), « le fait qu’une convention de vente d'actions attirait spécifiquement l'attention des vendeurs (également les recourants) sur la problématique de la déclaration des dividendes perçus, de même que les compétences en matière fiscale de la fiduciaire mandatée par les recourants pour effectuer leur déclaration fiscale ne permettent pas d'écarter la négligence, resp. d’admettre l’intention. Par ailleurs, l'argument des recourants voulant qu'ils ont omis de déclarer les revenus en cause, parce que les parts dans la société, vendues en 2016, ne figuraient pas dans l'état des titres de leur déclaration fiscale y relative, ne permet pas non plus d'exclure une omission intentionnelle. Un autre cas d’espèce n’a pas permis au TF de confirmer la négligence dans une demande de remboursement d’IA où le contribuable avait omis de déclarer un dividende (2C_240/2021 – arrêt du 24 août 2021). La justification d’un tel oubli a été prouvé par un seul certificat médical prouvant un syndrome d'apnées obstructives du sommeil (avec comme effet secondaire des pertes de mémoire). Alors que les instances inférieures cantonales bâloises avaient considérés ce seul élément comme prouvant la négligence, l’AFC et le TF n’ont pas été du même avis. Le TF a donc renvoyé les deux cas précités à la juridiction inférieure afin de procéder à d’avantages d’investigations.

Un autre cas intéressant jugé par le TF est celui d’un contribuable zürichois qui, malgré ses obligations et la sommation émise par les autorités fiscales cantonales, n’a jamais transmis de déclaration d’impôt et a donc été taxé d’office (2C_107/2020 – arrêt du 17 juin 2020). Dès lors, les revenus qui auraient pu bénéficier d’un remboursement d’IA n’ont pu être déclarés. En effet, le TF a jugé que dans ce cas de figure, ajouté à ce que le contribuable n’a pas été en mesure de démontrer que le non-dépôt de sa déclaration d’impôtn’était pas intentionnel, il fallait admettre l’intention en raison de son comportement passif et donc réfuter le droit à l’application de l’art. 23 al. 2 LIA. De plus, le TF a précisé dans cet arrêt que ce jugement ne ressort pas de l’arbitraire, puisque ledit cas d’espèce diffère de tous les autres cas déjà jugés (voir ci-dessus) dans lesquels une déclaration fiscale a été soumise, et bien qu’une déclaration incomplète des revenus et / ou des actifs concernés a été faite.

 

Conclusion

L’assouplissement des conditions du droit au remboursement de l’IA est une bonne nouvelle pour le contribuable pour autant que l’interprétation de la notion de négligence ne devienne trop restrictive dans les décisions à venir et laisse pour lettre morte la nouvelle disposition. Selon les récents arrêts résumés ci-dessus, il ressort que la connaissance par le contribuable de l'inexactitude de la déclaration d'impôt est primordiale afin de permettre de conclure si celui-ci il a agi de manière intentionnelle, dans le but d'obtenir une réduction d'impôt. En effet, selon le TF, de telles omissions résultaient de la négligence étant donné que le contribuable se serait sans doute abstenu d’annoncer/communiquer préalablement à l’administration ces rendements soumis à l’IA, et il en ressort par conséquent, que la négligence semble reconnue lorsque le contribuable a usé des précautions nécessaires lors de la soumission de la déclaration d’impôt.

Cette nouvelle pratique s’appliquera dorénavant à tous les rendements dont l’échéance est postérieure au 31.12.2013 pour autant que ces derniers n’aient pas fait l’objet d’une décision entrée en force. Cela inclut les cas dans lesquels la taxation est réouverte du fait d’une procédure de révision ou de rappel d’impôt. En revanche, en dehors de ces cas, il n’est pas possible de demander la réouverture du dossier et obtenir le remboursement de l’IA.