Champ d'application de l'arrêt du Tribunal fédéral suisse 2C_804/2021 du 14 octobre 2022

 

Résumé exécutif

Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral suisse a confirmé qu'un règlement des frais, approuvé par le canton du siège, est contraignant pour l'autorité fiscale du domicile de l'employé. Cette dernière n'a pas le droit d'examiner l'adéquation entre les frais remboursés et les frais effectivement encourus par l'employé. Cette décision soulève la question des règlements de frais supplémentaires pour les employés seniors, qui sont liés aux règlements de frais de base et sont généralement approuvés en même temps. On peut se demander si les mêmes considérations ne devraient pas s'appliquer à l'indemnité forfaitaire de représentation, bien que ce type d'indemnité ne soit pas expressément mentionné dans l'arrêt.

Par analogie, nous sommes d'avis que cet arrêt implique que les règlements de frais complémentaires convenus par le canton du siège de l'employeur lient également l'autorité chargée de l'imposition des travailleurs. Toutefois, si l'arrêt en question donne d'excellents arguments aux contribuables, il n'aborde pas expressément la question de l'indemnité forfaitaire de représentation et ne peut donc pas être considéré comme une garantie que les autorités fiscales des cantons autres que Genève (généralement les plus généreux) accepteront ce traitement des frais sans objection.

 

Les faits

L'arrêt du Tribunal fédéral 2C_804/2021 du 14 octobre 2022 concerne un contribuable domicilié dans le canton de Vaud qui travaillait pour une société basée à Genève en tant que "Regional Manager Valais" pour la succursale de Martigny. Il a reçu une indemnité forfaitaire de 18'000 francs pour l'utilisation de son véhicule privé lors de ses déplacements professionnels. Cette indemnité figure au point 13.2.2. de son certificat de salaire (Frais forfaitaires - Voiture). Le principe de cette indemnité repose sur le règlement des frais de l'employeur, approuvé par le canton de Genève, canton où se trouve le siège de l'entreprise. Néanmoins, l'autorité vaudoise a décidé de rejeter les déductions pour frais de transport professionnel, revendiquées par le contribuable dans sa déclaration d'impôt, et d'ajouter au revenu imposable du contribuable la part de l'indemnité versée par l'employeur qui dépassait les déductions professionnelles admises au niveau cantonal et fédéral. L'autorité vaudoise a considéré que l'indemnité forfaitaire litigieuse avait en fait servi à rembourser les frais de déplacement du contribuable entre son domicile et son lieu de travail, de sorte qu'ils ne pouvaient pas être déduits conformément à l'art. 26 al. 1 let. a LIFD, et que le solde non utilisé de l'indemnité forfaitaire devait également être imposé comme revenu.

 

La décision du Tribunal fédéral

Pour les salariés travaillant en Suisse, le Guide pour l'établissement du certificat de salaire et du certificat de prévoyance (ci-après, le Guide pour l'établissement du certificat de salaire) fixe des limites pour le remboursement des frais effectifs et forfaitaires. En cas de dépassement de ces limites, l'entreprise doit disposer d'un règlement de remboursement des frais approuvé par l'administration fiscale.

Selon le droit du travail suisse, l'employeur est tenu de rembourser à l'employé tous les frais occasionnés par l'exécution de son travail. Les frais liés au travail sont des frais encourus par l'employé dans le cadre de son travail pour le compte et sur ordre de l'employeur et qui sont donc dans l'intérêt de l'employeur. C'est le cas des déplacements effectués en véhicule privé entre le lieu de travail et le lieu d'exécution de la mission (déplacements d'intervention). Selon une jurisprudence constante, le remboursement de ces frais d'intervention ne constitue pas un revenu d'une activité lucrative, tant qu'il n'implique pas une augmentation de l'actif net, mais qu'il ne fait que compenser des dépenses effectivement encourues par l'employé dans l'intérêt de son employeur.

En revanche, si le remboursement dépasse les frais réels ou forfaitaires admis par le Guide pour l'établissement du certificat de salaire, la partie excédentaire est considérée comme un revenu imposable au sens de l'art. 17, al. 1 LIFD.

Ces frais d'intervention se distinguent des frais de déplacement entre le domicile et le lieu de travail, qui sont des frais professionnels. L'employé supporte ses propres frais professionnels mais peut éventuellement les déduire, dans les limites cantonales et fédérales, pour autant qu'ils soient considérés comme nécessaires à l'acquisition du revenu.

La situation est différente si le remboursement forfaitaire des frais d'intervention est basé sur un règlement de frais approuvé par l'autorité fiscale du canton du siège de l'entreprise. Dans ce cas, la relation entre le montant forfaitaire et les frais réels est réglée par un accord entre l'employeur (pour tous ses employés) et l'autorité fiscale. Lors de l'établissement de l'impôt pour chaque salarié, l'administration ne peut que vérifier que l'indemnité forfaitaire correspond au décompte des frais. En d'autres termes, les frais payés sur la base d'un règlement de remboursement de frais convenu, en particulier les frais forfaitaires, doivent être acceptés sans réserve par l'administration fiscale lors de l'évaluation individuelle de chaque salarié. En ce qui concerne la déduction des frais professionnels, l'autorité fiscale reste libre de vérifier que les déductions demandées sont conformes au droit cantonal applicable au contribuable ainsi qu'au droit fédéral.

Le Tribunal fédéral a confirmé que ce qui précède s'applique également lorsque l'autorité chargée de l'imposition de l'employé n'est pas celle qui a accepté le règlement des frais de l'employeur. En vertu du principe de la bonne foi, l'approbation par l'autorité fiscale du canton du siège de l'employeur est reconnue et contraignante pour tous les cantons. Le Modèle de règlement des frais pour les entreprises et les organisations à but non lucratif (ci-après, le Modèle de règlement des frais), élaboré par la Conférence suisse des impôts (ci-après, la CSI) et valable depuis le 13 décembre 2021, stipule clairement dans son 1er chapitre : " Les autorités fiscales cantonales reconnaissent les règlements de remboursement de frais approuvés par le canton du siège d'une entreprise (...). Par conséquent, une entreprise n'a besoin que de l'approbation du canton où elle a son siège". Il en va de même pour le Guide des certificats de salaire (chiffre marginal 54) : "L'approbation délivrée par le canton du siège couvre aussi bien le remboursement effectif des frais que les indemnités forfaitaires de régulation des frais. Une fois l'approbation obtenue, l'employeur n'a plus qu'à déclarer les indemnités forfaitaires de frais dans les certificats de salaire (...). Les règlements de remboursement de frais approuvés par le canton du siège de l'employeur sont reconnus par tous les cantons"). Il résulte de ce qui précède que l'approbation du règlement de remboursement des frais par le canton du siège de l'employeur implique que tous les autres cantons doivent s'y conformer.

 

Conclusion et perspectives pratiques

Dans cette affaire, le Tribunal fédéral a confirmé que le règlement des frais approuvé par le canton de Genève était contraignant pour le canton de Vaud. Ce dernier n'était pas en droit d'examiner l'adéquation entre les frais remboursés et les frais effectivement encourus par l'employé. Dès lors qu'elle était versée conformément au règlement, l'indemnité pour frais d'intervention ne devait pas être imposée et les frais professionnels pouvaient être déduits conformément au droit cantonal et fédéral.

A la lumière de cette décision, on peut s'interroger sur le traitement des règlements complémentaires pour les employés de haut niveau qui sont liés au règlement des frais et sont généralement approuvés en même temps. En effet, la question se pose de savoir si les considérations ci-dessus devraient également s'appliquer à l'indemnité forfaitaire de représentation, bien que ce type d'indemnité ne soit pas expressément mentionné dans l'arrêt.

 

Applicabilité dans la pratique :

Jusqu'à présent, alors qu'une entreprise basée à Genève faisait valider par l'administration fiscale genevoise son règlement de remboursement complémentaire de frais pour les employés exerçant une fonction dirigeante, l'administration cantonale vaudoise ne reconnaissait pas les montants ainsi acceptés par Genève pour les employés domiciliés dans le canton de Vaud. L'impact est important puisque le montant maximum de l'indemnité forfaitaire de représentation reconnu par l'administration genevoise est fixé à CHF 100'000, alors que le maximum vaudois est limité à CHF 24'000. Ainsi, l'application de la présente décision aux règlements complémentaires devrait impliquer que le canton d'imposition de l'employé, quelle que soit sa pratique, n'a pas le droit de revoir les indemnités forfaitaires de représentation dans la mesure où elles sont versées à l'employé conformément au règlement approuvé par le canton du siège. Concrètement, cela signifie dans notre exemple que si Genève (canton du siège) reconnaît une indemnité forfaitaire de représentation de 100'000 francs, le canton de Vaud (canton d'imposition de l'individu) doit accepter ces frais comme des montants non imposables.

 

Quels sont les arguments en faveur d'une telle position ?

Les conditions générales du modèle de règlement de remboursement des frais du CST précisent que "le règlement", qui ne requiert que l'approbation du canton du siège, comprend le modèle de règlement complémentaire de remboursement des frais pour les employés exerçant une fonction dirigeante. Ce modèle détermine les montants annuels des forfaits de frais qui, selon les conditions générales du modèle, ne devraient être validés que par le canton de domicile de l'employeur et qui, selon le présent arrêt du Tribunal fédéral, devraient être contraignants pour les autorités fiscales en dehors du canton de domicile.

En pratique, une entreprise basée à Genève a généralement deux possibilités. Premièrement, elle peut simplement adopter les directives sur le remboursement des frais de la FER-Genève. De cette manière, elle ne reçoit aucune validation formelle de la part des autorités puisqu'elle confirme qu'elle suit la pratique genevoise. La seconde option consiste à faire valider son propre règlement de frais, par exemple le modèle STC. Si une entreprise décide de faire valider son règlement, il est courant que l'administration genevoise approuve le règlement de base et le règlement complémentaire des frais avec la réserve suivante : "La société peut accorder aux membres de sa direction et à ses cadres une indemnité forfaitaire pour frais de représentation déterminée selon la pratique publiée par l'Administration fiscale genevoise". La question qui se pose ici est donc de savoir si le fait que l'administration fiscale genevoise n'approuve pas formellement les règlements (de base ou complémentaires) mais se contente de renvoyer à sa pratique peut ouvrir une brèche pour d'autres autorités fiscales, étant donné que l'arrêt du Tribunal fédéral fait référence à "l'approbation de l'administration fiscale". A notre avis, cette référence à la pratique, qu'il s'agisse d'une RPC ou d'un règlement STC, ne devrait pas remettre en cause l'approche que nous préconisons. Toutefois, compte tenu des enjeux importants pour certains cantons, il faut s'attendre à ce que les administrations concernées utilisent toutes les failles possibles pour refuser la déduction de ces frais.

D'autre part, l'application stricte et extensive de cette décision peut également être une mauvaise nouvelle pour les contribuables genevois qui travaillent pour une entreprise hors du canton de Genève. En effet, bien que l'administration genevoise reconnaisse les règlements de frais approuvés par d'autres cantons, il était auparavant possible d'appliquer la pratique genevoise aux employés résidant à Genève pour les indemnités de représentation. Au vu de ce qui précède, si l'autorité genevoise doit appliquer sans réserve les règlements complémentaires validés par le canton du siège, cela signifie que les montants inférieurs reconnus par les autres cantons sont désormais les seuls à pouvoir être déduits pour les contribuables genevois. 

 

En résumé

En ce qui concerne les règles de base en matière de remboursement des frais, cette décision indique clairement que l'autorité fiscale est liée par les règles approuvées par l'autorité fiscale du canton dans lequel l'employeur a son siège. Il n'aborde pas la question de l'indemnité forfaitaire de représentation pour les cadres. Par analogie, nous sommes d'avis que cet arrêt implique que les réglementations complémentaires approuvées par le canton du siège lient également les cantons de taxation. Bien entendu, et compte tenu du fait qu'il s'agit d'un enjeu majeur concernant les différences de traitement en la matière entre le canton de Genève et les cantons voisins, il est probable que les autorités fiscales tenteront de remettre en cause la déduction "genevoise" des frais de représentation. L'arrêt en question donne d'excellents arguments aux contribuables mais ne valide pas expressément la question des indemnités forfaitaires de représentation et ne peut donc pas être considéré comme une garantie que l'administration "non genevoise" acceptera ces indemnités sans objection. Les arguments des administrations fiscales non genevoises pourraient notamment porter sur la question de l'"approbation" donnée par le canton de Genève, qui fait souvent défaut dans la pratique.